Repenser la sphère de l’éducation et de la formation en partant des territoires.


La Gazette des Communes publie ce 16 juillet 2025 un appel important à la mise en commun :

« Gouvernance publique : et si la solution venait des territoires ? »

Publié le 16/07/2025 • Par Pierre Calame[1] Télécharger ce texte ICI

Lien web : https://www.lagazettedescommunes.com/994378/gouvernance-publique-et-si-la-solution-venait-des-territoires/

 

À l’approche des élections municipales de 2026, Pierre Calame, ancien haut fonctionnaire, président de Citego et coordinateur du collectif "osons les territoires", plaide pour une transformation profonde de la gouvernance publique. Dans cette tribune à "La Gazette", il défend un impératif démocratique souvent négligé : la mutualisation des expériences menées par les collectivités territoriales. Face à la complexité administrative, à l’opacité des dispositifs et à l’urgence des transitions à conduire, il appelle à créer une véritable communauté vivante de partage des savoirs issus de l’action locale.

 

On ne les arrête plus ! Depuis que la question du déficit budgétaire occupe le devant de la scène et qu’une révolte s’étend à l’égard de normes nationales appliquées inconsidérément à des contextes territoriaux très différents les uns des autres, les initiatives se multiplient. Le Sénat vient de rendre ses conclusions sur l’aide aux entreprises. Il conteste moins le montant lui-même que l’opacité des dispositifs et l’absence d’évaluation de leur efficacité. Le même Sénat arrive à propos de la suppression des doublons nés de la multiplication des agences et opérateurs de l’État  à des économies potentielles dix fois plus faibles que l’évaluation sommaire qu’en avait fait la Ministre chargée des comptes publics, Amélie de Montchalin.

Quant au Premier Ministre, il vient de charger les Préfets de mieux coordonner l’action des agences et administrations et d’adapter les normes à la réalité des contextes, amorçant, même timidement, une révolution institutionnelle attendue de longue date, celle de la gouvernance à multi-niveaux qui substitue à des normes uniformes des principes directeurs communs, à charge pour les acteurs publics d’en trouver la traduction intelligente en fonction de chaque contexte[2].

 

Coût ou utilité ?

Le même François Bayrou avait demandé il y a quelques mois à ses ministres de faire des propositions d’économie ; un bide complet qui ne saurait étonner les praticiens de l’administration : va-t-on demander à des acteurs publics eux-mêmes si leurs missions sont bien utiles ou si par hasard ils ne seraient pas trop bien dotés ?

A la veille des élections locales de 2026, la question posée par la créativité remarquable de l’État pour inventer de nouveaux dispositifs et opérateurs est moins leur coût que leur utilité au service des collectivités et des citoyens. Personne ne doute que les territoires sont en première ligne pour concevoir et conduire la transition vers des sociétés durables et pour assurer la cohésion sociale, à commencer par les collectivités locales elles-mêmes.  Toutes ou presque ont engagé des actions dans ce sens.

Comment aller plus loin et plus fort ? Comment renforcer la pertinence des politiques territoriales ? Comment tirer un meilleur parti du mille-feuille administratif et politique auquel ont abouti les multiples lois de décentralisation ?

Ces questions vont mobiliser à la fois les candidats et les citoyens. Comment nourrir au mieux la réflexion des uns et des autres ? Comment hausser leur niveau de compétence et celui de tous les acteurs locaux ? Et en quoi les multiples administrations, agences et réseaux bénéficiant de subventions publiques y contribuent-ils ? On pourrait parler à ce sujet d’efficacité citoyenne de l’argent public, car ce sont bien les citoyens contribuables qui devraient au bout du compte en être les premiers bénéficiaires. Et, là, il y a des progrès considérables et rapides à faire que je vais brièvement exposer.

Changer de posture

Il ne s’agit ni d’abreuver collectivités et citoyens de « bonnes pratiques » ni de conseils et autres offres d’ingénierie. Les institutions internationales ont, il y a quelques décennies, usé et abusé de la diffusion de « bonnes pratiques ». En général pour un bien maigre bénéfice. En effet les processus de changement ne sont pas des recettes de cuisine mais des processus enracinés dans chaque contexte. Plutôt que de bonnes pratiques à copier il faudrait parler d’« expériences inspirantes », de celles qui font réfléchir en en comprenant  le contexte, toujours singulier,  qui leur a donné naissance. Comme il faudrait parler des « principes directeurs » tirés de multiples expériences qui ont révélé, au-delà de la spécificité de chacune, des sources constantes de réussite ou d’échec.

De même, on croule aujourd’hui sous les consultants et les organismes prêts à donner des conseils, à offrir de l’ingénierie. Mais ce ne sont pas de vrais transferts de compétence. Ce qui compte c’est la capacité des équipes municipales et des citoyens à se nourrir directement des expériences les plus intéressantes et des leçons générales que l’on peut en tirer. On ne peut s’en tenir à un discours descendant, des « experts » vers les « ignorants » ; ça ne marche jamais. D’abord parce que les présumés experts ne connaissent pas le contexte de ceux auxquels ils s’adressent.

Ensuite parce que l’expertise est très souvent sectorielle alors que l’innovation a toujours une dimension systémique. Enfin, parce que l’expert repart avec son expertise, sans avoir doté les acteurs de terrain d’une compétence durable. L’expertise se fonde toujours implicitement sur des expériences concrètes mais n’en garde que les leçons, sans référence à ces expériences.

Et il n’est guère utile de se référer à quelques expériences exemplaires, toujours les mêmes, hissées au rang de modèle à suivre, car le contexte qui les a rendues possibles n’est en général pas transposable. Le vrai vulgarisateur devrait être avant tout un médiateur de l’expérience accumulée, donnant aux acteurs qu’il accompagne accès à une banque d’expériences dont ils pourront eux-mêmes tirer les leçons.

Une communauté vivante

Comme on le voit, l’efficacité de l’argent public, ici, tient à une réponse simple… du moins en apparence : mettre à la disposition des collectivités et des citoyens le meilleur de l’expérience accumulée.  Car la connaissance la plus utile à l’action naît de l’action de personnes placées dans la même situation, auxquelles on peut s’identifier. Dans cette période préélectorale, propice aux réflexions et débats, le plus urgent est de donner à tous les citoyens et à tous les acteurs locaux, publics et privés, accès à cette expérience accumulée.

Or ce n’est pas le cas aujourd’hui ! Que faut-il pour cela ? D’abord que toutes les actions menées avec l’argent public, celles des agences de l’État comme celles des multiples réseaux bénéficiant de subventions publiques, fassent l’objet d’une restitution rappelant le processus et ses résultats, analysant les succès et les difficultés (car l’innovation n’est jamais un long fleuve tranquille !). Déjà là on est loin du compte. Ensuite que ces expériences soient mutualisées, ce qui implique non pas un système centralisé (qui ne marchera jamais) mais la volonté de tous de respecter des normes de présentation des expériences qui sont celles des bases de données documentaires. Ce n’est pas non plus le cas.

En troisième lieu, qu’on arrête de classer les politiques de façon sectorielle tout en répétant que la transition est « systémique »; ce qui implique l’adoption par toutes les agences et réseaux d’un outil commun d’indexation rendant effectivement compte des multiples dimensions de l’action. Enfin, que les leçons générales qu’on dit tirer de l’expérience soient effectivement documentées et que l’on montre clairement comment elles ont été dégagées et non qu’on les assène comme vérités venues d’on ne sait où. Ces quatre exigences sont la condition d’une démocratie vivante.

De la volonté politique

Y parvenir est une question de volonté politique, pas de moyens ! On peut demain créer avec toutes ces agences, administrations et réseaux, en France et dans l’Union européenne une Communauté de sites ressources sur les territoires et la transition. Il suffira que chacun de ses membres, au lieu de mitonner dans son coin son propre site web accepte de le doter d’une structuration professionnelle conforme aux normes des sites documentaires et accepte d’indexer ses expériences avec un même outil d’indexation rendant compte des liens entre les questions : ce que j’appelle un atlas relationnel. Moyennant ces conditions simples on peut en quelques mois créer un corpus commun d’expériences, sans pour autant faire perdre à chacun son identité, bien au contraire. On peut aussi sur les sujets les plus importants dégager des synthèses transparentes, c’est à dire se référant explicitement aux expériences des uns et des autres.

Et l’intelligence artificielle, IA, me direz-vous. Ne dispense-t-elle pas de cet effort de mutualisation ? Bien au contraire ! Vous avez peut-être lu récemment la manière dont Elon Musk avait trafiqué l’algorithme de son propre logiciel d’IA pour apporter des réponses racistes, suprémacistes, antisémites quelle que soit la question posée. Sans aller à cet extrême, vous ne maîtrisez dans l’IA ni l’algorithme utilisé pour produire les synthèses ni le corpus de documents qui y conduit[3]. Par contre, si on utilise un logiciel d’IA en l’appliquant à un corpus documentaire particulier, ici les ressources de la Communauté ainsi créée, en lui demandant d’extraire en outre les expériences les plus inspirantes, chaque collectivité, chaque collectif citoyen disposera d’une aide pour dégager les leçons de l’expérience et se doter d’un outil de réflexion le rendant autonome et créatif.

Fort de l’expérience acquise par Citego[4], la banque de quatre mille expériences que nous avons créée et l’outil d’indexation que nous avons mis au point, « l’atlas relationnel », j’ai proposé à des dizaines d’agences, administrations et réseaux de France et d’Europe[5] de bâtir ensemble cette Communauté de ressources[6]. Réponse presque unanime : quelle belle idée mais en ce qui nous concerne nous n’avons pas de temps à y consacrer. Et chacun continue de courir dans son couloir, même dans le contexte explosif actuel de menaces sur les agences d’État et de restriction des budgets publics.

Et si la préparation des élections locales était enfin l’occasion de s’y mettre ? Et si les collectivités locales et les citoyens l’exigeaient ?



[1] Président de Citego; coordinateur du collectif "osons les territoires"; auteur du "petit traité d'oeconomie" (ECLM 2018) et du "petit traité de gouvernance" (ECLM 2022); ingénieur en chef des Ponts et Chaussées ancien haut fonctionnaire.

 

[2] Voir à ce sujet la Communication de la Commission européenne d’octobre 2018, « COMMUNICATION DE LA COMMISSION AU PARLEMENT EUROPÉEN, AU CONSEIL EUROPÉEN, AU CONSEIL, AU COMITÉ ÉCONOMIQUE ET SOCIALET AU COMITÉ DES RÉGIONS :Les principes de subsidiarité et de proportionnalité: renforcer leur rôle dans l’élaboration des politiques de l’Union : voir aussi « petit traité de gouvernance », Pierre Calame, ECLM 2022 : https://www.eclm.fr/livre/petit-traite-de-gouvernance/

[3] Le récent post du DGS de Loos en Gohelle, Lucas Lyszak, sur Linkedin, résume parfaitement ces différentes exigences : a) Agréger les ressources déjà existantes et les rendre facilement accessibles ; b) Utiliser l’IA comme une ressource, non comme une fin en soi ; c) Mettre la notion de commun au centre ; d) Imaginer une solution par les territoires, pour les territoires, ancrée dans le quotidien ; e) Créer un agrégateur, pas une couche de plus : une gare d’aiguillage, un hub de ressources opérationnelles. Difficile de dire mieux ce que doit être la Communauté de sites ressources.

 

[4] L’association CITEGO, Cités, territoires, gouvernance, www.citego.org a construit au fil des années une banque d’expériences riche de plus de quatre mille cas, en français, anglais et espagnol, issus de France, d’Europe et du reste du monde.

 

[5] Petit florilège d’administrations et de réseaux français et européens : ADEME, ANCT, CEREMA, CGDD, OFB, Agences de Bassin, réseau des agences régionales de l’environnement RARE, France urbaine, Plan Urbanisme construction et architecture, programme de recherche sur les métropole (POP SU), Territoires d’industrie, réseau des Agences d’urbanisme FNAU, France ville durable, Eurocités, Energy cités, programme européen Net zero cities, réseau des territoires à énergie positive TEPOS, Agence française de développement AFD, Portico European urban initiative, Association des intercommunalités, CNFPT, Fédération des agences locales énergie climat  FLAME, Université Gustave Eiffel, URBACT programme européen de recherche sur les villes...

 

[6] Communautés de sites ressources sur les territoires et la transition, CORETET, https://www.citego.org/bdf_fiche-document-3373_fr.html  

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Le Manifeste élaboré par un collectif large et soutenu par l'appel dans Le Monde le 6 février 2024 :

Le Monde, Publié le 06 février 2024
« Le système éducatif mérite de profondes transformations,
mais pas en regardant dans le rétroviseur »

Un collectif de chercheurs et d’experts du monde scolaire, comme François Dubet, Pierre Kahn ou Bruno Robbes, et le collectif Osons les territoires invitent, dans une tribune au « Monde », à refonder l’école à partir des réalités locales plutôt que de chercher un consensus uniforme et vain.

Un consensus unit la société : le système éducatif hérité de la IIIe République, du collège unique, de la scolarisation obligatoire de 3 à 16 ans, doit être profondément réformé. Mais le consensus s’arrête là. Les discours de Gabriel Attal et d’Emmanuel Macron [le 16 janvier] fixent un cap : en arrière toute, pour retrouver l’école fantasmée d’hier, au service de la République une et indivisible, laïque, forgeant les citoyens d’une France éternelle de l’ordre et du progrès. Le tout par des mesures improvisées, décrétées par une micro-élite formée dans des écoles privées haut de gamme, devant être immédiatement appliquées par tous les enseignants, dans la plus parfaite ignorance de leurs contraintes. Mesures supposées régénérer une école publique qui aurait failli à fabriquer des vrais petits Français exaltés à l’idée qu’un sang impur abreuve nos sillons.
Que tout le système de formation, de l’enfance à la vieillesse, mérite de profondes transformations, les 140 premiers experts signataires du manifeste « Repenser l’éducation par et pour les territoires : le temps de l’éducation globale, vivante et permanente est venu » en sont convaincus. Mais certainement pas en regardant dans le rétroviseur. Il nous faut plutôt nous projeter hardiment dans l’avenir.
En avant toute ! En partant de la réalité interculturelle de nos jeunes ; en mesurant les défis à relever dans les cinquante ans à venir (transition écologique et sociale, évolutions techniques et émergence d’une société mondiale) et en identifiant les futurs métiers, les savoir-être et savoir-faire indispensables ; en disant quelle société nous voulons bâtir, et le tout sans craindre de nous inspirer des pays qui font preuve, à travers les enquêtes internationales PISA, d’une efficacité bien supérieure à la nôtre. Tant sous l’angle des savoirs acquis que sous l’angle de l’équité sociale.
Métamorphose
Notre manifeste ne propose pas de potion magique pour l’école mais des lignes directrices susceptibles de contribuer au grand débat démocratique que mérite le sujet et que nous appelons de nos vœux. Car que reste-t-il de la démocratie si la question de l’avenir de nos enfants en est soustraite ?
Comment font les meilleurs, souvent de petite taille, comme l’Estonie, championne européenne en titre en performance et en non-reproduction sociale inégalitaire ? Elle s’est attaquée depuis 1991 à la réinvention de son système éducatif. « L’autonomie en matière d’éducation constitue une valeur fondamentale qui conduit à de meilleurs résultats », expliquait récemment la ministre de l’éducation estonienne, Kristina Kallas, dans un entretien au Grand Continent.
Et ce ne sont pas des mots creux. De 7 à 15 ans, les primaire et collège sont regroupés en une seule « école de base » sans aucune sélection avant 16 ans. L’Etat définit l’objectif d’un tronc commun, aux équipes éducatives de définir les méthodes et les outils pédagogiques. Après l’école, qui finit vers 14 heures, les « écoles de loisirs » ont un financement public à 100 % pouvant intégrer les transports pour se rendre à l’activité. Quel fossé entre la confiance faite en Estonie aux communautés éducatives et notre modèle centralisé, enfermé dans un découpage en disciplines, et où l’égalité républicaine formelle dont on se gargarise produit des inégalités sociales supérieures à la plupart des pays de l’OCDE !
Quand, en juillet 2023, des jeunes en viennent à brûler leurs propres écoles, y voyant le symbole d’un Etat et d’une société qu’ils rejettent et non leur maison commune, discourir sur le pacte républicain, la laïcité et la transmission des savoirs fondamentaux ne suffira pas à éteindre le feu. Nous voulons soumettre à débat une métamorphose du système éducatif en réponse à celle de notre société.
Par et pour les territoires
Notre système actuel est un condensé de coupures : entre temps scolaire et non scolaire ; entre classes, cycles, disciplines ; entre savoirs, savoir-faire et savoir-être ; entre concepts et vécu, raison et émotions ; entre formation des enseignants et aptitudes que l’on attend d’eux ; entre professionnels et parents, eux-mêmes parfois peu préparés à leur rôle ; entre éducation initiale et formation tout au long de la vie.
Ces coupures ont sacrifié la gestion des relations interpersonnelles au nom de l’efficacité opérationnelle. Ce n’est pas remédiable dans un système centralisé. C’est par et pour les territoires – c’est-à-dire les bassins de vie – qu’il faut repartir pour reconstruire un système éducatif cohérent, de la naissance à la vieillesse, dépassant, grâce au concours de tous les acteurs, les multiples coupures dont nous souffrons aujourd’hui. Point d’application par excellence du principe de subsidiarité active où des lignes directrices, fixées en commun et que chacun traduit au mieux des réalités locales, se substituent à des directives uniformes.


Signataires : François Dubet, professeur émérite à l’université de Bordeaux, sociologue de l’éducation. Il est notamment l’auteur, avec Marie Duru-Bellat, de L’école peut-elle sauver la démocratie ? (Seuil, 2020) ; Roger François Gauthier, inspecteur général de l’administration de l’éducation nationale, professeur d’université, membre fondateur du Collectif d’interpellation du curriculum, auteur de Crise des programmes scolaires. Vers une école de la conscience (Berger-Levrault, 2019) ; Pierre Kahn, professeur émérite de sciences de l’éducation à l’université de Caen ; Bruno Robbes, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Cergy-Pontoise, auteur de L’Autorité enseignante. Approche clinique (Champ social, 2016).

Les membres du collectif Osons les territoires, auteurs du manifeste « Repenser l’éducation par et pour les territoires » (2023) : Béatrice Barras, Jacques Brégeon, Pierre Calame, Pierre Caro, Jean-Pascal Derumier, Bernard Fortier, Martine Guérin, Kristina Hakala, Claire et Marc Héber-Suffrin, Armel Huet, Robert Jestin, Cindy Nadaud, Richard Pétris, Jacques Pinchard, Armel Prieur, Isabelle Sorbelli, Patrick Waeles.

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Juste avant, c'est Ouest France qui a publié la tribune de Jacques Pinchard, Pierre Calame et Armel Huet le 22 janvier 2024

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Appel du collectif « Osons les territoires ! ». Novembre 2022


Nos sociétés vont devoir faire face à des défis immenses et inédits : l'interdépendance entre les sociétés au niveau mondial, le réchauffement climatique, le vieillissement de la population, le renouvellement du modèle économique, pour ne citer que quelques uns. Pour relever ces défis nous devons nous doter d'une capacité collective à les comprendre et à les affronter. On entend par « capacité collective » d'une part la combinaison des compétences individuelles, d'autre part les capacités à coopérer.


Le fossé entre l'accumulation des connaissances et techniques et notre capacité à faire face aux défis communs illustre la crise des modalités d'acquisition et de transmission des savoirs, savoir être et savoir faire, ce que l’on pourrait qualifier de sphère de l’éducation et de la formation, qui englobe les institutions formelles de transmission des connaissances, depuis l'enfance et tout au long de la vie, et, plus largement, tous les processus d'acquisition de compétences, tous les processus de transmission des valeurs et des savoir faire que met en œuvre la société.


Nos crises, comme le souligne le Manifeste « Osons les territoires ! » sont des crises multiformes des relations, y compris, pour chacun d’entre nous, les relations entre émotion et raison, réflexion et action. Nous devons, pour y faire face, nous laisser guider par la boussole de la seconde modernité qui inspire la création ou recréation des relations dans tous les domaines.


Relever les défis implique l’invention ou l’acquisition des compétences individuelles et collectives, des savoir faire et savoir être nécessaires pour les comprendre, assumer nos responsabilités à leur égard et agir ensemble pour y répondre. Invention ou acquisition qui se situent à différents horizons : depuis la nécessité de former rapidement des professionnels capables de comprendre et relever les défis  jusqu’à la formation des générations futures, de la petite enfance au grand âge.


Une juxtaposition de réformes des différentes composantes de la sphère de l’éducation et de la formation ne suffit pas. C’est d’une approche intégrée de sa transformation dont nous avons besoin.


Le territoire, bassin de vie ou d'emploi, espace où se déroule l'essentiel de la vie de la société et écosystème d'acteurs susceptibles de coopérer entre eux, est le niveau privilégié pour concevoir et transformer de façon intégrée l'ensemble de la sphère de l’éducation et de la formation car c'est un espace privilégié reconstruction des relations, d’exercice des responsabilités mutuelles des acteurs les uns vis à vis des autres, d’association des savoirs, savoir faire et savoir être, de prise en compte des besoins à court et long terme de la société.


Chaque territoire est traversé par des défis mondiaux qui sont tous « glocaux », c'est à dire à la fois mondiaux et locaux. C’est aussi un espace privilégié pour la compréhension systémique de la société, pour l'apprentissage et le déploiement de la coopération, pour l’association de la pensée et de l'action. On peut même dire qu’une « ville intelligente » est avant tout une ville qui rend ses citoyens intelligents parce qu’elle leur offre mille occasions de développer une compréhension collective des enjeux et de s’en saisir ensemble, faisant du territoire une occasion permanente d'apprentissages formels et informels tout au long de la vie comme cherche à le promouvoir l’UNESCO avec le réseau des villes apprenantes.


Forts de ce constat, nous pensons qu'il faut aborder la transformation de la sphère de l’éducation et de la formation non par une démarche descendante par laquelle l'État définirait un ensemble de réformes, à charge pour les territoires de les mettre en œuvre mais, au contraire, par une démarche ascendante, en application du principe de subsidiarité active : chaque territoire construit sa propre compréhension de la sphère actuelle, définit ce qu’elle devrait devenir pour répondre aux exigences que l'on vient de décrire et esquisse une stratégie de transformation, y compris en interpellant les niveaux national et européen lorsque les blocages se situent à ce niveau. Puis on dégagera à partir de la confrontation de différentes expériences territoriales les principes qui pourraient s'appliquer à tous.


Nous appelons territoires, entreprises, institutions et professionnels de l’éducation et de formation, réseaux de collectivités, d’universités et de la société civile, syndicats patronaux et de salariés...

Nous les appelons à se joindre au collectif « Osons les territoires ! » pour porter cette ambition et des propositions concrètes de réforme à l’occasion des travaux du Conseil national de refondation.


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